LE MODELE TACHE – ACTIVITE – PERFORMANCE EN EPS


 Ce cours propose une réflexion à partir de la littérature relative aux théories de la connaissance et de l’apprentissage. Après une présentation des concepts et notions clés des théories de la connaissance, sont envisagées les concomitances relatives aux conceptions de l’apprentissage et de l’enseignement en EPS.
 Plus précisément, la première partie schématise ce que l’on peut considérer comme une conception dominante en EPS, que l’on désigne de « cognitiviste », ou « prescriptive », ou « modèle de la commande », ou encore modèle « Tâche – activité – performance ». Elle peut être résumée à partir de l’idée selon laquelle l’action est l’exécution d’un plan, qu’elle est donc commandée, prescrite par un programme, une représentation. La deuxième partie présente des réflexions en relation avec les conceptions de l’apprentissage en EPS et le guidage de ces apprentissages par les enseignants.

1. L’approche cognitiviste
L’approche cognitiviste peut être dite « dominante » dans la mesure où elle est largement partagée par les chercheurs et les praticiens (de façon explicite ou implicite), où elle a montré son efficacité en termes de progrès de la connaissance, de possibilité de concevoir des protocoles d’étude, et où elle ne se trouve plus en position d’énoncer –voire de justifier– ses a priori .
L’explicitation des postulats scientifiques est néanmoins fondamentale : toutes les théories sont basées sur des options non démontrées, qui informent fortement ces théories elles-mêmes. Et il se trouve qu’aujourd’hui un certain nombre des postulats sur lesquels repose l’approche cognitiviste sont discutés et remis en cause. C’est pourquoi ils sont énoncés ci-dessous.

1.1. La métaphore de l’ordinateur
L’homme agissant est conçu comme un système doté d’un sous-système cognitif. Ce système cognitif est « autonome » au sens où on peut l’envisager indépendamment de l’action elle-même et de l’être humain dans sa globalité. La pensée, qui résulte du fonctionnement de ce système cognitif, est distincte de l’action ; l’action est l’expression de la pensée ; l’action est une exécution.
1.1.1 Ce système cognitif est analogue à un ordinateur dans lequel des informations pénètrent –l’input –, puis sont codées, stockées, assemblées, organisées, et duquel elles sortent sous forme de parole, de mouvement –l’output–.
L’action humaine est analysée comme celle d’un ordinateur qui exécute un programme en opérant sur des données (l’action est une exécution). Cet ordinateur opère en calculant : il « compute ». Et la pensée humaine est envisagée par analogie avec les computations informatiques : on dit que l’homme traite des informations, c'est-à-dire qu’il opère des calculs sur des données qui se présentent sous la forme de symboles physiques. Cela revient à énoncer que la pensée suit des règles formelles très strictes, qui se présentent comme une grammaire, une syntaxe, et qui pré-existent à l’action. Pour être plus concret, on considère que l’homme agit comme un ordinateur dont on a, par exemple, activé le programme de traitement de texte, et qui traite des symboles physiques selon des règles préétablies (les lettres et agencement de lettres qui sont saisies), mais ne « comprend » par le sens du texte sur lequel il opère. Ainsi, pour saisir une balle se déplaçant sur une trajectoire, il faut que le système cognitif se soit représenté cette trajectoire (orientation, vitesse…), ait calculé la date et le lieu de l’interception, se soit représenté cette date et le mouvement à exécuter, ait décidé de lancer ce mouvement, ait activé le programme pilotant ce mouvement, se soit représenté l’écart entre cette date et le lieu de l’interception avec les événements en cours, etc…
1.1.2. Ce modèle conduit à accorder beaucoup d’importance à la façon dont le monde est codé, c'est-à-dire représenté à partir des données perceptives et des connaissances stockées dans la mémoire à long terme. Le système cognitif ne traite jamais directement l’environnement ou le contexte : il opère sur des représentations (images, symboles, propositions…). D’où l’importance (en quantité et aussi en poids théorique) des recherches relatives aux représentations (de soi, du monde, de l’action, du milieu social, de la connaissance, de la discipline, d’objets sociaux…) à la fois comme bases de la connaissance et de l’action, et comme éléments clés de l’explication en sciences humaines et sociales.
1.1.3. Le système cognitif de l’homme est considéré comme doté de deux mémoires, une mémoire à long terme dans laquelle sont stockées les programmes et les informations biographiques (les fichiers), et une mémoire à court terme ou de travail dans laquelle le traitement de l’information s’effectue. L’action concrète est seconde, au sens où elle ne se déroule qu’après que ce traitement des représentations ait eu lieu dans la mémoire de travail. Ces représentations sont plus ou moins justes, exhaustives, ce qui explique les imperfections de l’action, les erreurs, les ajustements. On peut d’ailleurs décrire fondamentalement deux modes (ou deux composantes) d’action : l’une planifiée ou programmée au cours de laquelle l’action se déroule en conformité exclusive avec le plan (on lance un objet en direction d’une cible, on tend son bras vers un crayon à saisir, on réalise la préparation de séance qu’on avait planifiée), l’autre contrôlée, régulée, guidée (on « corrige en ligne » le mouvement de lancer, on ajuste la trajectoire de la main pour entrer en contact avec le crayon visé, on modifie en situation ce qui était prévu pour mieux répondre aux réactions des élèves).
1.1.4. Ce modèle général admet aussi deux catégories ou formes de connaissances. L’une dirigée vers l’action, consiste en des « procédures », des « savoirs comment », des connaissances opératives sous-jacentes à chaque action ; l’autre dirigée vers la description du monde, consiste en des « déclarations », des « savoirs que », des connaissances contemplatives découplées de l’action. On parle aussi de savoirs pratiques et de savoirs théoriques qui sont relativement étanches, étrangers.
1.1.5. Par ailleurs, le fait que ce système cognitif soit « transporté » par un corps est sans importance (autre que le fait que des informations issues des récepteurs corporels parviennent au système cognitif). En d’autres termes on peut envisager la cognition humaine sans se préoccuper de l’engagement concret et corporel de l’acteur.
1.1.6. Enfin, même si des modèles plus complexes ont été proposés récemment, ce système cognitif est considéré comme pouvant avoir deux états : on et off, activité et inactivité, veille et sommeil. Et même dans l’état d’inactivité, les programmes et les fichiers « sont là », potentiellement disponibles, « n’attendant » que d’être réactivés. Cependant le système « se fatigue » à fonctionner ; on utilise pour rendre compte de cela la métaphore d’une réserve d’attention (le carburant de la machine cognitive) : ces ressources attentionnelles sont limitées, s’épuisent en fonctionnant (l’homme n’est pas capable de réaliser des performances élevées pendant une durée prolongée).

1.2. L’activité morcelée
Selon cette conception, on peut rendre compte de l’activité humaine (et essentiellement pour ce qui nous préoccupe de l’activité cognitive) en la décomposant.
1.2.1.Tout comme l’action est conçue séparément de la cognition, cette dernière est envisagée isolément de la motivation, des émotions et de l’affectivité, et de toutes les autres fonctions psychologiques. Cette approche considère comme pertinent ce  découpage. Il est juste, non générateur d’erreurs de conception, de disjoindre par exemple les émotions de la résolution de problèmes, ou la perception de la programmation du mouvement… L’image de l’homme qui en est issue est celle morcelée d’un ensemble pensé comme une association de ces fonctions, et l’activité comme une sorte d’assemblage a posteriori de fonctions et processus séparés, autonomes (les rares recherches visant à analyser les relations entre ces fonctions ou processus [par exemple l’effet du stress sur la coordination du mouvement] ne mettent pas en question cette conception analytique, et contribuent même à la renforcer).
Ces processus étudiés en soi et isolément, sont modélisés, formalisés dans des théories spécifiques, indépendantes, qui livrent des connaissances atomisées de l’apprentissage, de la motivation, des émotions, de la perception, de la mémoire, de l’intelligence, de la prise de décision, de la résolution de problème, du raisonnement, du contrôle moteur, de l’estime de soi…
1.2.2. Au plan scientifique, cela aboutit à une multiplicité de théories régionales qui rendent compte de façon précise de secteurs restreints des comportements humains : théorie des buts d’accomplissement, théorie de l’interférence contextuelle, théorie de l’attribution causale… Ces théories sont très prédictives (au sens où elles permettent de dire à l’avance ce que seront les comportements de sujets dans des protocoles expérimentaux) ; elles sont aussi étanches : à notre connaissance il n’existe pas de tentative d’intégration en un modèle unifié, de ces théories locales. Et bien qu’une communauté de postulats caractérise ces théories locales (parce que ce sont des théories cognitivistes elles sont basées sur les postulats généraux que ce cours se propose d’énoncer), les chercheurs spécialistes d’un secteur ne connaissent que par curiosité intellectuelle les théories relatives à d’autres secteurs, même « voisins ».

1.3. Le solipsisme fondamental
Selon cette approche, la cognition est par essence un phénomène individuel (le terme « individu » désigne ici un système cognitif quelconque : un ordinateur aussi bien que le système cognitif d’un être humain, d’un animal…).
1.3.1. Connaître (et agir) résulte de l’activité d’un système doté de procédures et de fichiers qui code et traite le monde environnant.  Ce monde est décrit comme un ensemble de contraintes qui s’exercent sur ce système cognitif et face auxquelles il développe des stratégies adaptatives.
1.3.2. Ces stratégies sont essentiellement de deux types. Dans le premier cas, face à un environnement hostile, l’individu cherche à atteindre un objectif (un but), en fonction des connaissances dont il dispose, sans connaître a priori les moyens pour atteindre cet objectif. Il s’agit de résolution de problème. Dans le deuxième cas, l’individu possède une familiarité avec l’environnement auquel il s’adapte, il a acquis des routines adaptatives (des habitudes, des habiletés, des compétences…) et une activation de ces routines disponibles dans son répertoire est suffisante pour atteindre le but.
L’action (et la vie) se résume pour l’essentiel à deux modalités principales : résoudre des problèmes ou activer des routines en réaction à un déclencheur quelconque. Et ceci s’opère de façon solitaire : certes le milieu est pourvoyeur d’informations, de consignes, d’aides… mais fondamentalement le système cognitif s’affronte de façon solitaire aux contraintes adaptatives qui s’imposent à lui.
1.3.3. Cette approche admet bien sûr l’existence d’interactions entre systèmes cognitifs (deux ordinateurs peuvent être connectés) ;  mais ces interactions « sociales » ne sont pas d’une nature particulière : les output d’un système constituent les input de l’autre et symétriquement. On peut ainsi caractériser les interactions entre deux systèmes selon que l’un des deux est dans un état de connaissance plus avancé que l’autre (il est « expert » l’autre « novice »), ou bien que les output des deux sont contradictoires en raison d’états de connaissance de niveaux analogues mais de contenus différents (on parle alors de « conflits cognitifs » et même de « conflits socio-cognitifs »). Mais fondamentalement la nature sociale, relationnelle des interactions n’est pas considérée comme valide pour caractériser ces échanges cognitifs.
1.3.4. Un pas de plus dans l’analyse montre que ce modèle est basé sur l’idée que les processus cognitifs relèvent du fonctionnement biologique, universel, invariant (de l’homme mais aussi de tous les systèmes cognitifs), tandis que les contenus cognitifs, ce sur quoi opère la cognition et l’action, renvoient à la culture et à l’environnement. Les processus étant « toujours déjà-là » ils agissent sur des symboles et des informations culturelles. Pour être plus concret : les processus de lecture de trajectoires de mobiles par exemple sont conçus comme universels, naturels, relevant de l’équipement biologique (plus ou moins stimulé et développé de chaque individu) tandis que ce sur quoi portent ces processus : ballons ou automobiles en déplacement, oiseaux en vol… est singulier, social, local et relève de l’éducation, de la culture ou de l’expérience.

1.4. La machine cybernétique
 Le système cognitif est conçu comme une machine cybernétique.
1.4.1. Le système poursuit un but clair, précis, et ajuste son comportement afin d’atteindre ce but (cf. les remarques ci-dessus relatives aux deux modalités d’action : programmée ou guidée). Le but est un résultat anticipé (c'est-à-dire représenté) et au fond toute action consiste en une réduction d’écart entre un état actuel de connaissance et un état futur (anticipé puis qui devient actuel) –l’écart actuel constituant le déclencheur de l’action–.
1.4.2. Cette conception largement admise repose sur des postulats intéressants à expliciter. Il s’agit de l’idée que tout système cognitif poursuit un but clair, isolé, identifié, « atteignable » (s’il n’était pas tel, il ne pourrait pas servir à la régulation de l’action ou du comportement). Il y a donc une sorte d’isomorphisme ou de correspondance terme à terme entre un objectif (que l’on pourrait énoncer de l’extérieur du système) et le but (ce vers quoi tend le système). C’est en raison de l’existence et de la connaissance anticipée de cet état futur, qu’il peut y avoir projets  et résolution de problèmes.
1.4.3. Le réseau des buts et sous buts (ou buts intermédiaires) que la machine cognitive vise, ce vers quoi elle se dirige, peut être plus ou moins complexe, articulé, emboîté, hiérarchisé. Mais l’action est toujours une action finalisée. Le but est l’élément de l’auto-régulation des actions, ce vers quoi tend le système et ce contre quoi il bute (aux deux sens du terme). Bref l’action résulte de l’activité d’un système dirigé vers un but, conscient de la finalité isolable et évaluable qu’il poursuit, réduisant progressivement l’écart entre l’état actuel du monde et l’état futur désiré. Une fois ce désir satisfait (le but atteint), le système cesse d’agir (jusqu’à ce qu’un autre but « motive » son activité).
1.4.4. Les « boucles de rétro-action » sont donc des éléments clés pour expliquer les actions. Elles sont basées sur deux capacités minimales de tout système auto-régulé : la capacité à détecter des erreurs et la capacité à les corriger (cf. les remarques ci-dessus relatives à la notion d’action comme processus de réduction d’écart). Ces boucles de rétroaction sont plus ou moins complexes, médiates (ou immédiates), différées ou instantanées (on ajuste sa posture de façon spontanée, non consciente, rapide ; on développe une stratégie à long terme faite d’une multiplicité de micro-actions, de corrections, de changements de caps… en vue d’obtenir une qualification professionnelle et un emploi).
1.4.5. Ce modèle énonce également que si le but poursuivi est toujours conscient ou conscientisable (c'est-à-dire énonçable verbalement, susceptible d’une description), en revanche les moyens (anticipés ou effectivement réalisés) mis en œuvre pour atteindre ce but ne le sont que rarement. On parle « d’impénétrabilité cognitive » pour désigner cette méconnaissance par les systèmes cognitifs de leur propre fonctionnement. Certes cette impénétrabilité est partielle, surmontable pour partie (par un effort de prise de conscience par exemple, ou en raison de l’existence de ce que certains chercheurs ont dénommé des « métaconnaisances », pour désigner les connaissances que possède un système de son propre fonctionnement et de ses propres connaissances et sans lesquelles il ne peut fonctionner efficacement), mais elle est inhérente à l’économie même de ces systèmes.

1.5. Une conception prescriptive
Cette approche renvoie à un système d’explication particulier pour rendre compte des actions ou comportements des systèmes cognitifs.
1.5.1. On « explique » de mauvais résultats scolaires d’un élève par son appartenance culturelle et les pratiques langagières au sein de son milieu familial ; ou encore ses difficultés à apprendre tel ou tel élément d’un programme scolaire (en biologie comme en EPS) par ses représentations initiales (ou pré-conceptions). La façon de rendre compte d’un événement, d’un phénomène, d’une action (ici le mauvais résultat scolaire ou la difficulté d’apprentissage) est analogue à celle qui vaut en sciences de la nature : il s’agit d’établir une relation de cause à effet. L’élément à expliquer est considéré comme une conséquence (un effet) et les chercheurs identifient ce qui déclenche, détermine, contrôle, prescrit cette conséquence (une cause).
1.5.2. Cette quête d’éléments causaux externes (au sens où ils sont hétérogènes, d’une autre nature que l’élément à expliquer : la performance dans une tâche scolaire et la représentation du contenu enseigné ou la pratique langagière dans la famille), renvoie toujours à un ordre de réalité autre que celle à laquelle on s’intéresse ou dont on veut rendre compte et où chaque action est commandée ou prescrite par autre chose (on explique l’apprentissage par la motivation, la motivation par l’appartenance à telle ou telle catégorie sociale, celle-ci par l’héritage parental ou les aptitudes de ces parents, etc.)
1.5.3. Enfin, cette volonté de proposer des explications, c'est-à-dire des liaisons linéaires cause ® conséquence contribue à une conception prescriptive. On entend par là l’idée qu’aucun événement n’existe ou ne se développe en soi. La vie mentale, comme la vie physique, obéit à un déterminisme causaliste. Ce système explicatif fait aussi dépendre l’actualité dont on rend compte, d’aspects qui pré-existent à cette actualité ; la performance scolaire hic et nunc est déterminée par du « déjà-là » : la représentation du savoir ou le code langagier au sein de la famille. Les événements de la vie mentale s’expliquent donc (par opposition avec l’approche contextualiste qui tend à les comprendre). Et les expliquer revient à les faire dépendre d’autres éléments ayant statut d’antécédents, de déclencheurs, de « contrôleurs », de variables prescriptives.

2. Cognitivisme et enseignement / apprentissage en EPS
Il y a sans conteste des points importants de convergence entre d’une part les théories de la pensée et de l’apprentissage, et d’autre part les conceptions de l’enseignement et de l’éducation. Il faut certes se défier de toute espèce de naïveté et ne pas avoir une conception applicationniste en la matière. La façon dont on agit en classe ne découle pas mécaniquement de théories psychologiques de l’apprentissage ou de la pensée : il faut compter d’une part avec « les théories populaires » (c'est-à-dire les croyances communément partagées relatives à ce qu’est l’esprit, la pensée, l’apprentissage, la pédagogie…) qui ne sont pas toujours compatibles avec les théories scientifiques, d’autre part avec ce que l’on pourrait appeler les contingences de l’action (c'est-à-dire l’ensemble des circonstances imprévisibles, qui font qu’aucune action ne se déroule en conformité avec son plan).
Les réflexions qui suivent ne prétendent donc pas établir de relations de dépendance des pratiques par rapport aux théories (encore que ce soit là une façon d’appréhender les choses en accord avec l’approche cognitiviste : l’action est l’expression d’une représentation, d’une conception), mais plus modestement, repérer quelques points de convergences qui permettent de caractériser les pratiques pédagogiques selon deux aspects principaux : l’intervention vise la cognition non le mouvement ; et l’intervention est basées sur une correspondance terme à terme entre contraintes externes et activité cognitive.

2.1. Intervenir sur le système cognitif et non sur le mouvement
 Bien que se donnant pour objet la motricité des élèves et son développement, l’enseignant d’EPS, au cœur même de son intervention ne vise pas spécifiquement le mouvement.
2.1.1. L’intervention de l’enseignant n’est envisagée comme efficace que si a) elle passe par l’activité cognitive des élèves et b) elle a un effet second sur cette activité. En d’autres termes, si l’enseignant souhaite déclencher des changements au plan moteur chez un élève qui échoue à attraper la balle que lui lance un partenaire, il va s’efforcer d’intervenir non sur le mouvement, mais sur les processus sous-jacents : lecture de la trajectoire de la balle, anticipation de la date et du lieu de l’interception, décision de déclenchement du mouvement, etc. Ou bien, analysant les difficultés éprouvées par cet élève comme dépendant de sa représentation de la tâche ou de l’activité, va-t’il s’employer à « changer cette représentation » préalablement. Et cet enseignant évalue son intervention comme efficace s’il considère avoir déclenché des progrès au niveau des processus perceptifs, décisionnels, des représentations, des connaissances…, progrès dont il peut trouver l’expression dans les mouvements réalisés par les élèves.
2.1.2. Cette conception de la pédagogie est rendue possible car elle admet que l’on peut isoler le fonctionnement purement cognitif de l’ensemble de l’activité des élèves. Ces derniers sont par exemple considérés comme capables de « faire taire » leurs émotions et de « fonctionner » (comme fonctionne l’ordinateur) de façon froide et neutre. Quand les exercices, tâches ou situations sont génératrices de réactions émotionnelles intenses : peur, plaisir, stress, enthousiasme… la demande de l’enseignant et son intervention portent sur la capacité et la nécessité de « contrôler » ces affects, de les « mettre à distance ».
2.1.3. L’un des moyens essentiels d’intervention des enseignants d’EPS est donc de faciliter le fonctionnement de la machine cognitive (informationnelle et cybernétique). Ceci est possible en donnant aux élèves des buts clairs, précis, aisément isolables (ne pas dire « fais de ton mieux », mais « essaie de dépasser le trait dessiné au sol »). Ceci se fait aussi en jalonnant la démarche vers le but en instaurant un réseau de sous-buts eux-mêmes clairs, précis et aisément isolables (« quand vous aurez réussi à lancer trois fois de suite la ballon dans cette cible, vous vous reculerez jusqu’au trait bleu et vous essayerez à nouveau d’atteindre la cible trois fois de suite »…). Ceci permet soit une auto-évaluation, soit une co-évaluation la plus directe et précise possible, de sorte que le système puisse réguler sa propre évolution : on parle à ce sujet de connaissance du résultat, de critères de réalisation ou de réussite… Et les enseignants considèrent ces éléments comme des moyens très efficaces de guidage de l’apprentissage des élèves.
2.1.4. Il découle de cela un certain nombre de pratiques telles par exemple que la conception de situations étalonnées en niveaux de difficulté. Ces niveaux renvoient à une difficulté cognitive, informationnelle, computationnelle (voir à ce sujet les multiples ouvrages relatifs à l’analyse de la tâche et sa difficulté, ainsi que les nombreuses publications de didactique des APS). Le fondement de l’intervention est basé sur une simplification initiale (de la tâche, de l’APS, de la situation…) afin de placer la demande cognitive au niveau des capacités (ou ressources, ou compétences) des élèves, puis sur un accroissement graduel et contrôlé de cette demande.
2.1.5. Pour ajuster cette difficulté, les enseignants modifient le nombre les degrés de liberté, le temps accordé, la quantité d’information (ou d’incertitude), la structure but-sous buts, etc. Ils envisagent aussi la justesse des représentations, c'est-à-dire la correspondance entre une réalité (ce qu’est une APS, c’est qu’est l’action efficace dans tel ou tel contexte) et l’image qu’en a l’élève. Ce sont des sortes de délestages cognitifs qui sont opérés : la décharge du système au regard de tel ou tel processus rendant possible un progrès soit au niveau du processus dont la sollicitation est allégée, soit au niveau des autres processus (par exemple en réduisant la charge perceptive, on permet soit une meilleure adaptation au plan perceptif, soit un progrès au niveau des processus décisionnels, soit les deux). Ceci correspond à une sollicitation différenciée et plus ou moins focalisée des ressources attentionnelles des élèves.
2.1.6. Par ailleurs, le découpage dans l’activité globale (pour simplifier la tâche des élèves) aboutit à la conception de problèmes et à l’incitation faite à ces élèves de résoudre ces problèmes : on leur propose des tâches dans lesquelles sont fixés un but clair et précis, ainsi que les conditions matérielles et réglementaires d’atteinte de ce but, mais pas les moyens de l’atteindre. Les élèves ont donc à découvrir ou inventer ces moyens et à résoudre le problème.
2.1.7. L’intervention est aussi basée sur la conviction, que l’on peut qualifier de « fonctionnaliste », selon laquelle pour développer, améliorer, rendre plus efficace un processus ou une opération cognitive, il faut l’activer. Cette activation n’est pas toujours suffisante (des pratiques pédagogiques complémentaires et complexes se développent à partir de cette simple mise en activité) mais elle est une sorte de pré-requis ou de nécessité basique.
2.1.8. Une pratique répandue et considérée efficace est celle consistant à faire verbaliser les élèves après qu’ils aient effectué une tâche, ou un exercice. Cela revient à leur demander de coder sous forme déclarative des connaissances procédurales. Ceci satisfait deux fonctions.
 La première est, par cette sorte de changement de modalité, de rendre les élèves plus lucides, plus conscients de ce qu’ils font ou ont fait. Et cette lucidité, cette clairvoyance cognitive est considérée comme souhaitable, permettant aux élèves de construire une sorte d’intelligence de leur motricité. Il s’agit de favoriser le développement d’individus à la motricité à la fois efficace et intelligente. La deuxième est que par la verbalisation a posteriori, en posant des questions aux élèves (« comment as-tu fait pour projeter ton camarade au sol ? » « Comment as-tu pu réaliser une rotation complète ? »…) on les incite à formuler et énoncer des connaissances plus abstraites, décontextualisées, générales que celles activées dans la réalisation de la tâche elle-même. Ce-faisant les élèves énoncent des « lois », des « règles », des « principes » qui sont censés leur servir (c'est-à-dire leur permettre d’être efficaces) dès lors qu’ils se retrouveront dans une situation analogue, c'est-à-dire dans laquelle la réussite est dépendante de l’activation et l’exploitation de la même loi, règle ou principe. Bref « théoriser la pratique », « déclaritiviser ses procédures », « prendre conscience ou connaissance de l’action », « verbaliser »… est une procédure de nature à favoriser a) l’apprentissage de connaissances pratiques, de savoir faire, de compétences… et b) le transfert et le réinvestissement de ces connaissances et savoir-faire préalablement acquis, en raison de cette décontextualisation et abstraction.
2.1.9. Ces pratiques sont censées contribuer à dépasser le caractère singulier, spécifique de l’apprentissage d’un mouvement, pour favoriser la construction d’éléments cognitifs plus généraux, abstraits et décontextualisés (et donc plus intéressants au plan éducatif) tels que des représentations, des règles d’action, des principes…

2.2. Exploiter la correspondance entre contraintes externes et activité cognitive
 L’efficacité de l’intervention des enseignants d’EPS est conçue comme liée à une étroite correspondance entre des contraintes « objectives » ou externes, et les processus cognitifs ou l’activité cognitive sollicités. L’idée de base est que l’on peut exercer une sorte de pression adaptative sur le système cognitif, et même intervenir « de façon chirurgicale » (pour adopter hors contexte une expression à la mode) avec précision sur tel processus, telle opération, tel élément de connaissance…
2.2.1. De cette idée que la pression externe correspond à une modification, une sollicitation de l’activité cognitive interne, dérive la conception selon laquelle on peut catégoriser, répertorier, classifier des types de pressions externes. Ainsi le Tennis de table correspond à une modalité de pression différente de la Gymnastique ou de la Course de fond. Et l’on peut, à partir de cette correspondance entre type de contraintes externes et type de ressources sollicitées, dire d’un sport ou d’une tâche qu’ils sollicitent préférentiellement telle ou telle ressource. Il en découle la possibilité de programmer des répertoires d’APS ou de tâches de façon délibérée, en fonction d’intentions éducatives puisque l’on sait à partir de l’analyse des « contraintes de la tâches », de la « logique interne des APS », du « problème fondamental », de la « nature de l’APS »… quel type d’activité est sollicitée chez le pratiquant. Cette approche s’appuie sur (et entérine l’idée) d’une nature des sports, des exercices… que, moyennant une analyse précise et armée, l’on peut identifier et exploiter à des fins éducatives.
2.2.2. Si comme le dit Jérôme Bruner la question fondamentale de l’éducation est celle de l’altérité, de la rencontre avec l’autre, de la possibilité d’établir un contact entre systèmes cognitifs différents, cette approche de l’enseignement offre une entrée relativement simple et claire dans ce problème en postulant la possibilité de « modeler », « activer », « ajuster » de l’extérieur ce qui se passe à l’intérieur de la boîte cognitive. Toutes les pédagogies ont été peu ou prou basées sur cette croyance, ce postulat, mais jamais sans doute dans l’histoire de l’éducation, un corps de connaissances scientifiques n’aura permis de l’asseoir avec autant de précision et de justifier ces pratiques.
2.2.3. Ce type d’interventions mêle assez finement le souci d’une acculturation des élèves et celui de leur développement personnel. Ce dilemme inhérent à tout projet éducatif est appréhendé ici a) en considérant que dans toute intervention il y a la possibilité de faciliter le développement de procédures générales naturelles de traitement, ou computation d’une part, b) en proposant des contenus culturels sur lesquels ces processus peuvent opérer et en insérant ainsi l’élève dans une culture. Ces contenus culturels sont quasi exclusivement les pratiques sportives, considérées comme des « pratiques sociales de références » dont, en accord avec les conceptions représentationnistes (ou correspondantistes) de la connaissance précédemment évoquées, on s’efforce de conserver le sens, la signification sociale et culturelle, la nature, la logique…
2.2.4. Ces interventions enfin se trouvent de plain-pied théorique avec l’approche prescriptive définie plus haut, en raison de leur ancrage sur l’idée très fondamentale selon laquelle « l’élève réagit ». L’action de l’élève est une réaction à ce que l’enseignement lui propose. En d’autres termes, le déclenchement, le début, la raison, le sens de chaque manifestation de l’activité des élèves se trouve dans le « stimulus », le déclencheur, la tâche que lui aura proposé l’enseignant. C’est toujours l’enseignant qui a l’initiative (même pour dire à l’élève : « fais ce que tu veux »), et donc le contrôle de l’action des élèves (disant cela nous n’énonçons pas que ce contrôle soit toujours efficace et automatique, conforme à l’anticipation ou aux souhaits des enseignants et sans conflits). C’est donc bien d’une conception pédagogique prescriptive qu’il s’agit (même si, répétons-le, cette pédagogie peut être foncièrement démocratique, bien intentionnée et respectueuse des élèves).